mardi 21 mars 2017

Robert le diable

livre d'heures d'Anne de Bretagne
la chenille
Je reste avec le diable. Le mien se nomme Robert mais c'est...

...un papillon !

             Robert...

                      ...  le Diable !

En réalité, le nom latin est Polygonia : qui a plusieurs angles, des polygones, qui marquent bien (un peu comme Gonepteryx le citron) les angles exagérés des ailes. Voilà le nom, le prénom étant C-album, pour désigner le grand C blanc en plein centre des ailes postérieures : je vous ai déjà montré les lettres de l'alphabet qui ornaient les ailes des papillons, lui est typique de la lettre C, ou Gamma grec, sauf qu'elle fait un angle de 90°, et qu'il faut la lire de travers.

La chenille "bedeau" a sur le dos une large bande longitudinale blanche qui la fait ressembler à l'habillement d'un bedeau, du moins pour ceux qui se souviennent de ce que c'est ! On la trouve sur le houblon, le groselier et les orties.


comme ses cousins vanesses : sur l'ortie


de profil, comme beaucoup de vanesses, on ne voit que deux paires de pattes :





colloque de diablotins

Alors, pourquoi le nom français : Robert d'abord, le diable ensuite ?

Pour certains historiens, Robert-le-Diable est en effet le surnom donné à Robert de Montgommery, là où d'autres l'attribuent à Robert le Magnifique, père de Guillaume le conquérant. Par ailleurs, le profil des ailes très découpées de ce papillon ayant des allures de ...diable moyenâgeux ..., et la couleur du "diable enrhumé" (un mélange de couleurs chamarrées qui jurent entre elles) l'association d'idées a semble-t-il fait le reste. 

Au final, et vous l'aurez compris, les voies (impénétrables) de l'entomologie 

ne sont pas loin d'égaler celles du Seigneur :

dans sa bagarre éternelle avec son ennemi :

le diable !



j'ai feuilleté pour vous tous les livres d'heures connus

pas évident d'y trouver le diable

forcément, ne pas le représenter est la meilleure manière

de ne pas le fréquenter !

on voit bien des cousins, telle cette petite tortue

mais voilà le risque :

je n'ai pas envie de me retrouver embroché sur une pique !

Pour les Normands : la légende raconte comment la femme du duc de Normandie, par dépit de ne pouvoir avoir d'enfant, voua à Satan un enfant à sa conception, enfant surnommé Robert le Diable et qui  terrifia la contrée par ses exactions (on discerne ici le thème de Merlin, héros rédempteur marqué par ses origines diaboliques). Son enfance est marquée par le meurtre de son précepteur et les violences exercées contre les autres enfants ; son investiture comme chevalier lui donne l'occasion d'exterminer les meilleurs participant du tournoi organisé en son honneur au Mont-Saint-Michel. 

Mis hors-la-loi, il devint le Capitaine de tous les mauvais garçons du pays et se livre, comme Gilles de Rais, aux pillages, coupant les gorges, forçant les hommes et violant les femmes et les nonnes, profanant les églises, incendiant l'abbaye d'Arquès, "tuant sept hermittes dans un bois", jusqu'au jour où il parvient au château d' Arquès où il rencontre sa mère. Celle-ci lui révèle la malédiction qui pèse sur lui, et Robert se repent immédiatement et part en pèlerinage à Rome, où il se confesse au Pape. Il va trouver alors un ermite qui lui indique sa pénitence : contrefaire le fou, rester muet et disputer sa nourriture aux chiens.  Viennent ensuite sept années de pénitence à la cour de l'empereur de Rome, dont il devient le fou (la folie pénitentielle succédant à la folie destructrice du début). 

Mais les Turcs déclarent la guerre contre l'empereur et envahissent l'Italie, tandis que son Sénéchal le trahit et sert le camp des Infidèles. Robert, qui reçoit d'un ange un cheval et une armure,  secourt l'armée par trois fois en conservant l'incognito, et est blessé par un chevalier. le Sénéchal félon prétend être responsable des victoires remportées par Robert, mais la fille de l'empereur, muette jusqu'alors, démasque l'usurpateur et révèle les exploits de Robert. Dans la version médiévale, l'ermite annonce à Robert le pardon de ses fautes et il finit saintement sa vie dans la solitude, l'ascèse et la prière. Il est enseveli à Saint-Jean de Latran avant qu'un seigneur du Puy vienne dérober ses ossements et fonder une abbaye. Dans les versions postérieures au XIIIe, Il épouse la fille de l'empereur puis devient duc de Normandie.


PS : Une fois encore, merci à Jean-Yves Cordier pour la documentation inouïe de son blog, et l'excellence de ses textes sur la zoonymie des papillons :


le colporteur de livres : Histoire mystérieuse de Robert le Diable

je vous rappelle la tête du diable sur les ailes postérieures du Vulcain

et le châtiment dans le livre de Catherine de Clèves
personne n'a envie de vivre ça pour l'éternité !