jeudi 11 juin 2015

Une B37 dimanche 14 juin 2015

1927 BUGATTI TYPE 37 

TECLA 4 chez Osenat :

400 000 - 500 000 €

(quand-même !)

Chassis 37291    moteur 192

Cette voiture a une histoire : elle nous est racontée dans le catalogue de la vente par Pierre-Yves Laugier. Histoire extraordinaire. La voici :

Elle commence dans les Pyrénées à Pau. Continue dans les Landes, se termine en Normandie...vous pensez si j'ai été passionné, et ai ajouté quelques photos personnelles aux commentaires d' Osenat, décidément très précis !

"La Bugatti Type 37, 1500cc Sport, dite TECLA 4, est produite de 1925 à 1929. En juin 1927 sont mises sur le marché les premières voitures à compresseur basées sur ce modèle : Le type 37A ne sera produit qu'à 76 exemplaires.

Après juillet 1927, seront encore fabriquées 40 voitures du modèle type 37 sans compresseur dont les quatre dernières en juillet 1929.Les ventes sont s'échelonner jusqu'en 1931, avec une production totale d'environ 210 voitures. Le moteur numéro 192 est assemblé entre le 20 et le 30 juin 1927 ainsi que les moteurs 191 à 194. Les vilebrequins ne sont pas en acier trempé comme le sont ceux des type 37A produits à partir de juin 1927. Les voitures à moteurs 191 à 195 sont assemblées en juillet 1927.

Le Registre de Facturation de l 'Usine indique que la voiture est facturée 46.400 ff le 25 juillet 1927 à JOUGLA et DELANOUE.


Le Registre de Vente Mensuel mentionne pour le mois de juillet 1927 : « Jougla Delanoue 37291 /192 le 3 août 1927 ». La voiture est expédiée, sans doute par chemin de Fer, à Pau chez le commanditaire qui est l'agent Bugatti pour les Pyrénées.

Le garage Jougla & Delanoue se trouve au 19 Cours Bosquet. Il est également agent des automobiles Brasier et Mathis car les clients Bugatti ne sont pas la majorité du genre, même si les riches anglais et espagnols sont des amateurs de belles sportives françaises.

Jeunesse à l'ombre des Pyrénées et des pins des landes. 
Le véhicule est immatriculé neuf dans le département des Basse Pyrénées, trois semaines plus tard. Cela semble indiquer que le premier propriétaire privé n'a pas commandé la voiture à l’Usine, mais aurait plutôt succombé aux arguments du vendeur palois. La Bugatti est immatriculée le 23 aout 1927, sous le numéro 4020 K 1, au nom de Carlos ACUNA, 19 rue Samonzet à Pau.


A cette adresse se trouve un bel immeuble à l'architecture fin XIXème, qui devait abriter un appartement au nom de cet espagnol en villégiature, confiant sans doute aux bons soins du « Garage de La Poste » tenu par Delanoe, l'entretien de sa Bugatti car la rue Samonzet donne sur le Cours Bosquet ! La tentation était peut-être en vitrine au coin de la rue. C.Acuna ne semble pas avoir engagé l'auto dans des épreuves locales pendant son année de possession du véhicule.

avec GoogleMap, on peut se rendre virtuellement 19,  rue Samonzet

Le 15 octobre 1928, la voiture est revendue dans le département des Landes sous le numéro 81 HU. Elle est immatriculée au nom de André BARTHE à Saint Vincent de Tyrosse. Ce jeune passionné de mécanique est natif du village, dont il est une figure locale : Jean Leon André BARTHE (1910- 1990). Il nait le 11 avril 1910 à Saint Vincent de Tyrosse. Son père, Jean Paul Camille Barthe exerça plus de quinze métiers dont celui de concessionnaire Terrot dès 1907. Il possédera le premier garage des Landes, sera un des premiers dépositaires Michelin avant 1914 et agent Renault pendant les années vingt. La fortune familiale reposait aussi sur les terres de la grand mère maternelle. Cet environnement fut propice au jeune André qui dès sa sortie du collège bilingue San Bernardo de San Sebastian, apprend la mécanique auprès de son père. Il passe son permis moto en 1926, et reçoit une 350 Terrot à moteur J.A.P culbuté. En 1929, il reçoit une Terrot culbutée à moteur Terrot et une 1000 Koehler -Escoffier. En 1931, A. Barthe finit par acheter une 175 Monet et Goyon à moteur Villiers Brooklands.
j'ai retrouvé ce garage, mais malheureusement, plus rien n'est d'origine !

Entre temps, le garage familial, le CENTRAL GARAGE, avenue Nationale 10, à Saint Vincent de Tyrosse a vu dès 1928, défiler des Bugatti acquises par le jeune André Barthe. Pas moins de deux «Tecla 4 Type 37 », puis un Type 38 ,2 litres et une 5 litres d'occasion brulée, passent entre ses mains, au gré des envies de ce passionné de mécanique. Il rencontre Ettore Bugatti à plusieurs reprises et se rend à Molsheim prendre possession de l'une ses voitures. La photo de la Bugatti Tecla d'André Barthe, retrouvée dans les archives familiales montre bien la plaque minéralogique 81 HU.

j'ai retrouvé les arcades de la photo suivante, avec des voitures d'époque


Le cliché est pris sur le sable de la plage de Cap Breton en 1929. Il montre son jeune frère Maurice, âgé de quinze ans, à coté du véhicule .Celui -ci ne possède pas d'ailes ni de pare brise, mais une calandre pare-pierre et une mascotte de radiateur difficilement identifiable.

Au Printemps 1931, tous les Pur Sang sont déjà revendus car il faut quand même financer les achats et courses de moto débutées en 1932 par une victoire au Kilomètre lancé de Tarbes à 132km/h sur sa Brooklands ! A. Barthe est un pur pilote privé. Cette même année, il remporte le GP de Bordeaux et celui de Carcassonne. En 1933, sur les 21 Grands Prix qui avaient lieu en France, il en remporte 5 sur sa nouvelle Monet Goyon à ACT et 3 vitesses. La saison 1934 le voit au guidon d'une 175 Monet Goyon à 4 vitesses et d'une 250 Aquila. En 1935 la Monet Goyon est remplacée par une 175 Aquila à moteur ACT O.M.B et en fin d'année il achetait une 500 Saroléa. Ayant conservé sa 350 Terrot,il pouvait faire les 4 montées ! La saison 1936 voit la consécration de ce pilote talentueux, qui selon les experts fut un des rares pilotes moto français, à même de battre à la régulière les meilleurs pilotes européens. Après sa victoire à Albi, sur la Saroléa, Mr Monet le contacte pour courir le championnat de France sur Monet et Goyon. Barthe accepte et pilote la fameuse 500 à ACT cylindre vertical. Il remporte l'épreuve sur le circuit de Montlhéry à 116,5 km/h de moyenne, après avoir parcouru plus de 300 km. En 1938, A. Barthe troque sa Terrot pour une Norton Inter et conserve sa fidèle Sarolea qu'il cachera pendant la guerre pour reprendre du service dès 1946.

Pour la saison 1949, il achète une 350 Velocette dont il garde le meilleur souvenir. Il arrête de courir en 1952, après la plus belle chute de sa carrière au TT de Bilbao. A.Barthe , ami de Pierre Bonnet l'importateur Suzuki ,devient agent officiel de la marque. Il travaillera dans son garage au milieu de ses chères motos jusqu'à ses dernières années. Il décède à Bayonne le 31 mars 1990. A. Barthe aura donc conservé sa Tecla 4 châssis 37291 pendant environ trois ans, avant que nous retrouvions la trace du véhicule à Paris au Printemps 1931. Mais avant de revendre sa Bugatti, il démonte la plaque de propriétaire en laiton qui se trouvait sur le tableau de bord depuis 1927. Cette plaque sur laquelle figure l'inscription « CHARLES G. de ACUNA Biarritz. » est parvenue jusqu'à nous, préservée dans le garage familial par Michel Barthe.

Nous l'avons convaincu de la céder au nouveau propriétaire à l'occasion du retour de la Bugatti à Saint Vincent de Tyrosse, pour un tour de roues à l'issue de la prochaine révision du véhicule !


Intermède parisien.
La Bugatti est en circulation dans le département de la Seine sous le numéro minéralogique 9063 RE 7, au nom d'un parisien dont le nom nous restera inconnu tant qu'une photo ne sortira pas d'un album de famille, car les dossiers de Police sont détruits dans notre belle capitale. Il n'en reste pas moins que cet amateur va conserver l'auto pendant six ans, ne la revendant qu'en avril 1937.

Débarquement en Normandie :
Ainsi le 25 mars 1937, la Bugatti 37291 quitte la capitale pour la Normandie. Elle est immatriculée sous le numéro 7666 CT 3, le 5 avril 1937, au nom de Georges ROBERT, né le 3.9.1908 et propriétaire de son état, domicilié dans le petit village de Lison à 27 km de Bayeux. La voiture change de propriétaire quatre mois plus tard, le 28 juillet 1937, en la personne de Mme Marie-Louise VANDERGUCHT, née le 8.12.1884, également domiciliée à Lison. Celle -ci est en fait la mère adoptive du précédent, déjà veuve à cette période. Au sortir de la première guerre mondiale, un couple de belges fortunés, les Vandergucht, s'installent dans le petit village de Lison et y acquièrent plusieurs propriétés et de nombreuses terres. Ils adoptent un enfant de l'assistance du nom de Georges Robert. Celui-ci, de nature bohème, ne travaillera jamais et vivra de ses rentes en laissant dans l’aventure au moins deux fermes et les terrains en rapport. Les vieux du village se souviennent encore de G.Robert qui était une sorte de héros local, se promenant souvent en agréable compagnie au volant de sa Bugatti. Célibataire endurci, ce grand gaillard avait monté avec un ami un garage au village de Grandcamp les Bains, en bord de mer distant de 20 km, mais n'y travailla pas plus que sur ses terres.

Les allemands occupèrent Lison dès 1940. Plus aucune voiture ne circulait dans le village et les rares véhicules furent mis sur cales, mais la Bugatti fut bien cachée, sans doute dans l'un des hangars de la propriété du Haut du Chêne qui s'étendait sur une douzaine d'hectares et dominait la vallée. Le 24 février 1948, est demandé un certificat de non gage pour le véhicule, traduisant l'intérêt d'un acheteur potentiel. En effet le 17 août 1948, la Bugatti change de mains et de département pour se diriger dans la Manche.


Elle trouve un nouvel acquéreur en la personne de Georges MALBEAUX. Le véhicule est immatriculé sous le numéro 4048 KF 5. Le document de Police indique : « Malbeaux. Chauffeur S.A.C.E.R. Saint Lô. » Celui-ci est également mécanicien ainsi que son jeune frère Adrien (1918-1992). Georges possède un garage dans le village de Villiers - Fossard ou sera remisée la Bugatti.

Son fils Daniel, né en 1929, se souvient de la voiture : « La Bugatti avait été achetée dans le petit village de Lison, chez un propriétaire qui habitait à la sortie du bourg, au lieu dit « le Haut chêne ». La voiture n'était pas tournante mais mon oncle Adrien s'est occupé de la remettre en état et en route. Elle possédait de petits phares très près du radiateur en cuivre». Adrien Malbeaux avait aussi ouvert son petit garage route de Carentan à Saint Lô. « Après restauration, la Bugatti fut exposée dans la vitrine d'un magasin de la rue de Neufbourg à Saint Lô.» Elle sera conservée plusieurs années par les frères Malbeaux. Selon Daniel Malbeaux, elle aurait été revendue sur Paris.

Mais la voiture réapparait dans le Calvados au début des années soixante : Le véhicule est alors acheté par Jean-Claude AUBRIET (1933-1987) alors propriétaire d'un garage à Caen. Celui-ci originaire de l'Orne, dirige une concession Panhard à Nonant le Pin. Il s'y marie en 1959 puis tient un garage à Caen jusqu'en 1972. L'achat de la Bugatti correspond à cette époque de son activité. Il est mentionné comme propriétaire de « 37291 » dans la liste des membres du Club Bugatti France publiée en 1967.

Une retraite en bord de Loire.
Avant 1970, selon les souvenirs familiaux, la voiture est acquise par Pierre Pautet et immatriculée sous le numéro 325 BK 41, à la préfecture de Blois dans le Loir et Cher. Il va conserver le véhicule pendant près de 45 ans, en laissant l'usufruit et l'entretien à son ami Michel Menirer. Ce dernier ouvre le GP de Monaco 1976 au volant de la Bugatti 1927, et participe aux  3 Heures de Contres en 1980, dont il remporte le 21ème Grand Prix. Le rideau tombe ensuite sur la collection Pautet et le type 37 ne reverra plus la lumière du jour avant ce Printemps 2015.

Nous avons examiné en détail cette voiture dont la redécouverte pourrait être suite à une annonce dans l'esprit du Chasseur Francais :

« Occasion : à vendre Bugatti Tecla 4, bon état, non roulée depuis 30 ans, faire offre à J-P Osenat, rue Royale Fontainebeau. Prix à débattre.».

Si la voiture est parvenue jusqu'à nous en aussi bon état d'origine, il faut reconnaître qu'elle eu bien peu de propriétaires avant-guerre et passa une bonne partie de son existence en Normandie, cachée pendant la guerre loin des villes bombardées que furent Caen et Saint Lô. Dans le petit village de Lison, à l'abri, et à distance de la gare qui fut l'objet d'attaques ciblées des alliés en juillet 1944, la Bugatti fut préservée et ressortie intacte avant revente en 1948. Presque aucun des propriétaires après 1937 ne semble avoir vraiment utilisé le véhicule, qui se présente plus comme une voiture d'occasion en état roulant que comme une voiture de collection ayant subi d'irréparables modifications.

Son inspection réalisée en avril 2015, nous confirme dans ce sentiment :


La plaque châssis gravée « 37291 10 HP » est d'origine et ne semble jamais avoir été dérivetée de son tablier en aluminium. Le moteur porte les numéros 37291 et 192 sur sa patte arrière gauche. Le numéro du moteur 192 est rappelé sur la boite à cames. La voiture a conservé son essieu avant d’origine, bien qu'oxydé, il laisse deviner son numéro de fabrication « 314 » rarement vu sur une Bugatti de course. La boite de vitesse et son couvercle portent le numéro 322. Le pont arrière et sa jambe de force sont gravés 327. Ces deux numéros sont exactement dans la logique du véhicule au moteur 192. Le cadre du châssis repeint en rouge, sans doute au début des années soixante, laisse lire sous une épaisse couche de peinture décapée pour l’occasion, un numéro d'assemblage « 498 » qui est exactement dans la série attendue.

La carrosserie montre un galbe harmonieux avec une pointe très arrondie, bien difficile à copier. Les instruments sont anciens: Manomètre de pression d’huile, d’essence, ampèremètre, compte tour et montre. Un rare commodo Scintilla pour l'éclairage mérite notre attention. La voiture n'a pas été mise en marche et une révision s'impose avant qu’elle retrouve la route .Le chapitre suivant de son histoire d'automobile sportive reste à écrire.

Un grand merci à N.Brondel pour nous avoir mis sur la piste d'André Barthe, à B Salvat pour son savoir encyclopédique et M.Barthe pour ses souvenirs familiaux si précieux.


Pierre-Yves LAUGIER



souvenirs...souvenirs !

j'avais même les roues de la bonne couleur : rouge !
et le trailer pour la ramener à la maison !