mercredi 28 mai 2014

Le culte de Mithra...


Picasso 1901, l'ombre et la lumière dans l'arène
question (audacieuse)…

…inspire-t-il la corrida ?

On s’interroge avec Roger sur l’origine de la corrida : ce combat, dans l’ombre et la lumière, d’un héros (humain) contre le taureau (sauvage) a-t-il du sens ? Pour les détracteurs, c’est une tuerie méchante, sans aucun fondement. Les aficionados parlent de tradition, et d’art. Leurs arguments restent assez pauvres, ils ne nous racontent aucune histoire ancienne, et pourtant … ?

Le culte de Mithra, même s’il n’en reste presque plus rien aujourd’hui, fut pourtant une religion importante dans le monde romain. Ce culte fut l’une des premières grandes religions monothéistes. Réservée uniquement aux hommes, (ce qui naturellement la rendit clivante comme on dit aujourd’hui, auprès des femmes), secrète et fortement hiérarchisée, avec sept degrés d’initiation (ce qui la fait comparer aux rites des franc-maçons par exemple), cette croyance ne put résister au christianisme. Le mithriacisme a tout de même laissé des traces permettant de reconstituer l’histoire d’une religion complexe qui aurait peut-être pu devenir la nôtre.
 
Mithra au British museum : regardez bien le chien ; le serpent ; et le scorpion !
Dans l’Antiquité, la Perse comptait trois grandes religions: celle des mages, celle du peuple et celle du roi où Mithra apparaît pour la première fois sous le règne d’Artaxerxés II. En védique (forme archaïque du sanskrit), Mitra signifie « ami » ou « contrat », il est ainsi pris à témoin des serments et engagements, mais à cette époque Mithra n’est pas encore adoré dans un culte consacré à lui seul.

Plusieurs circonstances permettent au culte de Mithra de s’étendre. La conquête de l’Empire perse par Alexandre amène le culte dans le monde hellénistique grâce aux aristocraties de souches iranienne qui gardent leurs anciens dieux. Les pirates ciliciens (région du sud de la Turquie asiatique), capturés par Pompée, sont les premiers à introduire dans le monde romain le culte de Mithra, en 67 avant J.-C. d’après Plutarque. Ils pratiquaient en effet des sacrifices et un rituel initiatique dans les grottes de leurs montagnes. Puis les légionnaires importent Mithra en Italie à l’époque flavienne.

Les soldats considéraient Mithra comme leur protecteur. Ainsi, au 2ème siècle après J.-C., le culte s’implante à Rome et en Italie, et surtout dans les colonies militaires, les villes de garnison, en Afrique, en Bretagne, en Gaule, sur les bords du Rhin et du Danube. Pour plaire aux soldats, Commode se fait initier au culte, suivit par ses successeurs. Le culte faillit devenir la religion officielle sous Aurélien. L’empereur Julien fut aussi un adorateur de Mithra et il essaya, un peu tard, de substituer le culte de Mithra au christianisme, qui connaît lui aussi une grande expansion à cette époque. Le culte n’acceptant pas les femmes, n’ayant pas réussi à trouver beaucoup d’adeptes dans les couches populaires et étant un culte de petites sociétés, ne peut devenir une religion de masse. De plus on reproche aux mithriastes d’adorer un dieu venu de Perse, ennemi héréditaire des Romains.
Angers 2010

L’empereur Constantin, le premier empereur chrétien, interdit, en 324, les sacrifices. Comme le culte de Mithra reposait essentiellement sur le sacrifice (sanglant) d’un taureau, (nous y sommes), le culte fut poursuivi systématiquement. Les chrétiens accusaient aussi le culte d’être une religion des ténèbres puisqu’il se passait dans des cryptes souterraines. Le culte de Mithra déclina peu à peu. Puis il dut laisser sa place au christianisme et disparaître au 4ème siècle.

Le culte de Mithra se déroulait dans un Mithraeum, un endroit généralement souterrain de la forme d’une caverne en souvenir de l’époque où les pirates pratiquaient le culte dans des grottes.
 
à Rome, intact
Le Mithraeum était aménagé comme une salle à manger avec des bancs de pierre le long des murs. On en retrouve même en France, en 2010 à Angers par exemple. Au bout du couloir formé par les bancs se trouvait la statue ou le bas-relief représentant le sacrifice du taureau, comme la salle intacte sous l’église de Latran à Rome. Selon un récit reconstruit à partir des images et de quelques témoignages écrits, le dieu Mithra nait d'une pierre (la petra generatrix) près d'une source sacrée, sous un arbre lui aussi sacré. Au moment de sa naissance il porte le bonnet phrygien, une torche et un couteau.

reconstitution en Hollande, avec au sol les différents grades
felicimus pater, le dernier grade, à Ostie
Adoré par les pasteurs dès sa naissance, il boit l'eau de la source sacrée. Avec son couteau, il coupe le fruit de l'arbre sacré, et avec les feuilles de cet arbre se confectionne des vêtements. Il rencontre le taureau primordial quand celui-ci paissait dans les montagnes. Il le saisit par les cornes et le monte, mais, dans son galop sauvage, la bête le fait tomber. Cependant, Mithra continue à s'accrocher aux cornes de l'animal, et le taureau le traîne pendant longtemps, jusqu'à ce que l'animal n'en puisse plus. Le dieu l'attache alors par les pattes arrière, et le charge sur ses épaules. Ce voyage de Mithra avec le taureau sur ses épaules se nomme transitus. Ne pas confondre avec intestinal.


Quand Mithra arrive dans la grotte, un corbeau envoyé par le Soleil lui annonce qu'il doit faire un sacrifice, et le dieu, enfonce le couteau dans le flanc du taureau. Je ne suis pas vétérinaire, mais j’ai l’impression qu’il tranche la jugulaire, ce que va tenter le toréador dans son coup d’épée extrêmement précis. De la colonne vertébrale sort du blé, et du sang coule du vin. La semence, recueillie par la lune, produit des animaux utiles aux hommes.

Arrivent alors le chien qui mange le grain, le scorpion qui serre les testicules avec ses pinces, (pour faire sortir la semence ultime) et le serpent (on ne sait pas précisément ce qu’il fait, mais la Bible nous donne une autre version avec Eve).

Une des images centrales du culte de Mithra est donc la « tauroctonie », (à ne pas confondre avec la tauromachie), qui représente avec des caractéristiques iconographiques constantes le sacrifice rituel du taureau sacré par Mithra. Tout cela a lieu au solstice d’hiver, donc le 25 décembre, les saturnales des Romains, vous voyez que les mêmes dates produisent les mêmes effets !



Mithra est ainsi le Bien, opposé au Mal, représenté par le taureau. Le sacrifice du Mal permet d’expier les fautes des hommes, selon la théorie classique du bouc émissaire. La religion chrétienne dépasse ces notions primaires, puisque d’une part les femmes sont associées aux hommes dans le culte. Elles ont bien besoin d’être sauvées de leurs péchés elles aussi ! Dieu ne se contente pas de faire expier les fautes des hommes (et donc des femmes) par un animal fût-il sacré,  mais par un humain, son propre fils Jésus-Christ, fait d’autant plus injuste qu’il prêche l’Amour et la tolérance. On comprend que le Christianisme ait surpassé le Mithriacisme.

Alors la corrida est-elle une certaine survivance de cette religion ?

je serais aficionado, je l’affirmerais avec force.

Ce qui me fait douter

est qu’ils n’y ont jamais pensé… !


(sauf s’ils ignorent qui était Mithra, bien entendu !)