jeudi 13 février 2014

Retour au bercail


Ca a fonctionné comme prévu : aujourd’hui jeudi 13 les ambulanciers s’annoncent au portail. Entrent. Spectaculaire ouverture des portes et extraction de Roger de son brancard articulé. Un comité d’accueil se trouve opportunément présent et fait une ola au ressuscité. Souriant, hilare, il nous récite un poème, et nous cite le onzième commandement qu’il vient d’ inventer :

Au CHU ne monteras
si veux mourir paisiblement

La grande difficulté se situe à 22 heures : l’équipe de nuit relaie l’équipe de jour. Pour bien énerver le malade, l’équipe de jour ne lui a pas donné le somnifère, pour être certaine de le mettre en tension. Il s’énerve donc jusqu’à ce que l’équipe de nuit ouvre la porte à grand bruit, pile au moment où il s’apprêtait à somnoler, et lui remette la précieuse petite pilule. Evidemment après tout ce bazar il ne s’endormira qu’après. Enfin c’est fini, après une convalescence remarquablement rapide.

On fêtera le retour de Roger avec quelques doigts de porto, après l’eau de Seine sans goût, ça le change forcément !

Il y a un personnage éminent dans toute cette histoire, c’est la Vierge, celle vers qui on se tourne quand tout va mal. J’en ai vu des Vierges au Musée des Antiquités, et je n’avais pas eu le loisir de vous les montrer : en calcaire, d’une finesse remarquable. En ivoire, qui rappelle la tradition des ivoires de Dieppe.
  

La plus belle est la Vierge de l’abbaye de Valmont en ivoire sculpté, patinée avec de minuscules fentes, dont le Musée vend une reproduction pas mal du tout.

La Vierge (elle mesure 41cm) est debout, le visage penché vers son fils qu'elle tient allongé dans ses deux bras. Elle est vêtue d'une longue robe ajustée, au décolleté arrondi. Elle porte sur les épaules une cape retenue par deux cordonnets terminés par des glands, qu'elle ramène sous le bras gauche et qui se casse doucement en lourds plis volumineux. Ses cheveux longs ondulent de part et d'autre de la figure et descendent dans le dos. L'enfant potelé, les cheveux bouclés, est enveloppé dans un lange d'où émerge son torse nu.

Elle a décidemment remis Roger très en forme : il nous cite quelques vers du poème de Théophile Gautier (1811-1872) : Ce que disent les hirondelles, en espagnol : Lo que dicen las golondrinas. Il adore l’expression : les métopes du Parthénon : tout le monde ne sait pas de quoi il s’agit ? Je vous le cite en entier, comme une incitation à une croisière en Méditerranée :




















Déjà plus d’une feuille sèche
Parsème les gazons jaunis;
Soir et matin, la brise est fraîche,
Hélas! les beaux jours sont finis!

On voit s’ouvrir les fleurs que garde
Le jardin, pour dernier trésor;
Le dahlia met sa cocarde
Et le souci sa toque d’or
 

La pluie au bassin fait des bulles,
Les hirondelles sur le toit
Tiennent des conciliabules:
Voici l’hiver, voici le froid!

Elles s’assemblent par centaines,
Se concertant pour le départ.
L’une dit: « Oh! que dans Athènes
Il fait bon sur le vieux rempart!

Tous les ans j’y vais et je niche
Aux métopes du Parthénon.
Mon nid bouche dans la corniche
Le trou d’un boulet de canon. »

L’autre: « J’ai ma petite chambre
A Smyrne, au plafond d’un café.
Les Hadjis comptent leurs grains d’ambre
Sur le seuil, d’un rayon chauffé.

J’entre et je sors, accoutumée
Aux blondes vapeurs des chibouchs,
Et parmi des flots de fumée
Je rase turbans et tarbouchs. »

Celle-ci: « J’habite un triglyphe
Au fronton d’un temple, à Balbeck.
Je m’y suspens avec ma griffe
Sur mes petits au large bec. »

Celle-là: « Voici mon adresse:
Rhodes, palais des Chevaliers;
Chaque hiver, ma tente s’y dresse
Au chapiteau des noirs piliers. »

La cinquième: « Je ferai halte,
Car l’âge m’alourdit un peu,
Aux blanches terrasses de Malte
Entre l’eau bleue et le ciel bleu. »

La sixième: « Qu’on est à l’aise
Au Caire, en haut des minarets!
J’empâte un ornement de glaise,
Et mes quartiers d’hiver sont prêts. »
  

« A la seconde cataracte,
Fait la dernière, j’ai mon nid;
J’en ai noté la place exacte,
Dans le pschent d’un roi de granit. »

Toutes: « Demain combien de lieues
Auront filé sous notre essaim,
Plaines brunes, pics blancs, mers bleues
Brodant d’écume leur bassin! »

Avec cris et battements d’ailes,
Sur la moulure aux bords étroits,
Ainsi jasent les hirondelles,
Voyant venir la rouille aux bois.

Je comprends tout ce qu’elles disent,
Car le poète est un oiseau;
Mais, captif, ses élans se brisent
Contre un invisible réseau!

Des ailes! des ailes! des ailes!
Comme dans le chant de Rückert,
Pour voler là-bas avec elles
Au soleil d’or, au printemps vert !