mercredi 8 janvier 2014

Augustus Saint-Gaudens…


Pierre Feitu et la gloire offerte au
Maréchal Foch (Gallica)

…et Pierre Feitu

à Saint-Gaudens, cœur (provisoire) des relations franco-américaines…

…pendant dix ans.........seulement… !

Encore un sculpteur : Pierre Feitu. Un breton, né en 1868 à (22) Mur de Bretagne, célèbre pour son « mur », la côte sur laquelle s’entrainent les coureurs du Tour de France. Parisien puis américain il ouvre un atelier à New-York. Il y élèvera le monument à la gloire de Louis J.Heintz, l’un des fondateurs du Bronx, et installé au Grand Concourse. Ensuite il s’établira à Mexico pour y réaliser la statue du Président Porfirio Diaz, jusqu’à ce que la révolution le ramène à Paris en 1911. On le connaît pour son monument aux Invalides. Il est dédié aux 41 généraux morts au champ d'honneur en 14-18.

On trouve sur ebay un ensemble de brouillons d'une correspondance adressée au Général Augustin MARIAUX [1864-1944], Gouverneur de l'Hôtel des Invalides, concernant la commande de ce monument inauguré le 12 décembre 1929


Il s'agit de 9 lettres-brouillons, toutes écrites de la main du sculpteur, totalisant 12 pages, une écrite en réemploi au dos d'une facture adressée par la Maison Renaud pour la fourniture de terre à modeler – et on y lit l’adresse 8 et 11 Impasse Ronsin, Paris 15. Trois sont datées 11 janvier, 22 juin et 17 octobre 1926

Il accuse réception de la lettre du Général lui annonçant l'acceptation définitive de la Commission des Monuments Historiques et de l'ordre d'en commencer l'exécution. Il a fait réaliser l'agrandissement photographique grandeur d'exécution de sa maquette, "chose qui n'avait jamais été faite (24 mètres carré !)".

Il l'a fait placer dans la Chapelle aux Invalides "pour en voir l'effet" et se rendre compte des modifications à apporter. Il a fait faire une photographie de l'ensemble en situation. Un premier envoi de marbre est arrivé en gare d’Ivry, et il a été le voir dans le wagon. "Ce marbre étant de deux couleurs différentes, un blanc et un gris, j'ai dû le refuser". Il fait le voyage, se rend à la carrière de Saint Béat pour constater ce qui se passe avec la masse de marbre de 200 m3 qui a été sélectionnée mais dans laquelle il détecte des défauts, ce qui va lui causer du retard et par là il convient de retarder l'inauguration. Il suit les travaux d'extraction du marbre.  Il a retenu le marbre mais n'en a pas encore fait la commande, "il faudra environ de quarante à cinquante jours pour le faire venir". Il confirme que le monument pourra être inauguré le 11 novembre 1929, "date que vous m'avez fixée".

Quand il s’agit d’honorer le Roi des Belges en 1915 pour l'arrêt de l’avancée allemande par les armées belges, préparant ainsi la victoire de la Marne, c’est lui qui réalise l’épée d’honneur, don des Parisiens : « le coup de massue » !

 Et quand il est décidé d’honorer Augustus Saint-Gaudens à Saint-Gaudens, l'association des amis du grand sculpteur américain fait appel à lui. L’inauguration aura lieu le 11 septembre 1932.

Une fois de plus, je suis sauvé par les Archives départementales : la Dépêche du 11 septembre 1932 y est soigneusement conservée, enveloppée dans du papier kraft. Attention en feuilletant les pages desséchées et rouillées : de petits morceaux risquent de tomber en paillettes ! Solution : photographier, trop grand pour passer dans la photocopieuse !

… et je trouve le compte-rendu sous la bannière de l’entente franco-américaine : le même jour, elle est fêtée à Meaux autour de M Lebrun, président de la République ; le général Pershing ; MM Edouard Herriot ; Paul Boncour et Walter Edge. 
 
  
Forcément ils ne peuvent être à 800 km de là à Saint-Gaudens. Par contre, S.M Mohammed ben Youssef el Hassan, sultan du Maroc est aux eaux à Luchon, il en profite pour faire un tour en automobile. A vrai dire il vient avec sa suite dans un second véhicule. Il repassera un peu plus tard à Paris, où Edgar Herriot emmènera son fils dans un bazar (j’imagine que c’est au Nain Bleu rue Saint Honoré) pour lui offrir un jouet magnifique : une limousine décapotée avec le pare-choc qui en s’escamotant dans l’obstacle, bloque le moteur à ressorts !








  
 




  



Voici la photo, et je ne puis m’empêcher de vous montrer le vrai jouet, conservé par les soins de votre serviteur, plus neuf que neuf disent nos amis suisses. Il y a à Saint-Gaudens, venus par le rapide Paris-Luchon,  Robert Scotten, premier secrétaire à l’ambassade des Etats Unis à Paris ; Hippolyte Ducos, sous-secrétaire d’Etat à l’enseignement technique, qui préside la cérémonie au nom du Gouvernement. M Romuald Joubé de la comédie française, et Mlle Blerville-Silvain de l’Odéon vont réciter le poème de Jean Suberville « le retour » à la gloire de St-Gaudens.
 


Les discours sont dignes des plus grands moments de la rhétorique française, surtout celui de notre ami Ducos, qui reviendra sur place trois mois après, le 12 décembre 1932, pour inaugurer le monument aux morts des anciens élèves du Lycée, aujourd’hui Collège Leclerc http://babone5go2.blogspot.fr/2013/12/andre-abbal-troisieme-partie.html

Le problème d’un Maire dans un tel cas est de ne pas fâcher ses propres restaurateurs, et d’assurer une espèce de rotation équilibrée entre eux : cette fois, le repas final se fait aux « Trois maréchaux », qui à vrai dire est sur place.

Je suis un peu frustré : l’artiste Pierre Feitu est présent, un signal de connivence lui est adressé dans les discours, mais pas de photo. Personne ne parle vraiment de son œuvre : l’illustration de la Dépêche est assez belle, on dirait la photographie d’un dessin préparatoire, il faudra les cartes postales des grands escaliers de marbre  réalisés "par l’excellent marbrier Louis Lanson  représentant la société industrielle des Pyrénées" ; et une sobre mention à l’architecte Louis Longuefosse, pour que l’on puisse savoir le nom des réalisateurs. Pas de traces non plus dans les archives municipales.

L'Amérique est à droite, la France à gauche. L’une et l’autre sont sur deux piédestaux en marbre qui ont disparu, comme si on avait voulu gommer les traces du passé. Pareil pour le buste d’Augustus, dont on  voit mal aujourd’hui l’intérêt pour la fonte, le volume étant bien maigre par rapport à celui des deux statues symétriques. Comment la désobéissance civile n’a-t-elle pas joué ? Comment n'a-t-on pas trouvé d'autre oeuvre à offrir à la destruction, comme l'ancien Trophée disparu lui aussi, et qui ornait l'emplacement du monument aux Trois Maréchaux d'aujourd'hui ? Existait-il des maquettes ; des photos préparatoires comme aux Invalides ?
 
la même photographie de Baudry, mais prise sur place sur la notice explicative

voici le bras gauche de l'Amérique, la France en face
la personnalité en bas donne l'échelle de ce qui était un monument impressionnant par la taille !
les deux médaillons en marbre sont toujours en place, et permettent de distinguer les initiales RF
et les étoiles du drapeau américain

Je n’ai pas fini de me poser des questions !

That is the question(s) !


Pour en savoir davantage :

http://www.augustussaintgaudens-france-amerique.org/article-centenaire-d-augustus-saint-gaudens-67404186.html


les vestiges actuels en marbre :

on s'est donné du mal pour redescendre la partie autrefois supérieure, illustrée par la cloche du Nébouzan.
les médaillons de marbre avec RF à gauche et le drapeau américain à droite ont été sauvés.
l'inscription est postérieure à la fonte, et met la disparition de la sculpture au débit des dégâts
(collatéraux) de la guerre, dans les années 1942 : en réalité, on a bel et bien fondu en France des oeuvres d'art,
en application de la loi de 1941 !

Il n'y a que Sardou pour rappeler qu'on a été sauvés en 1945 par les Américains !